ARTS MUTANTS

Bienvenu dans l'univers des 'X Men' de l'Art Contemporain. Avec leurs œuvres mutantes, les artistes Robert Gligorov et Matthew Barney s'inscrivent dans l'ère du post-humain. Inspiré des manipulations génétiques ou de la chirurgie plastique, la star américaine Matthew Barney, invente le monde de demain. Sculpture, installation ou film avec Cremaster Cycle.

L’art biotech : Pas une révolution technologique sans que l’art ne s’en empare... L’explosion des biotechnologies n’échappe pas à cette règle.

"Tous les travaux bio'technologiques ont en commun d'être réalisés à partir du vivant lui-même, et non via sa représentation, sa métaphore ou sa simulation numérique. Ailes destinées à des porcs, papillons uniques, iris hybrides, bactéries génétiquement modifiées et autres cultures de peau tatouées sont des "objets vivants", généralement peu spectaculaires. C'est autour d'eux que s’organisent des œuvres aux dimensions multiples, tenant de l’installation, du discours, de la performance et – souvent – de la provocation. Plutôt que de glorifier ou rejeter en bloc la manipulation du vivant par l’homme, les artistes, en mettant en scène ces productions parfois “monstrueuses“, nous interpellent sur la science et la technique et nous poussent à nous interroger sur l’ambiguïté de nos propres réactions". L'ART BIO'TECH (NANTE, 2003).

CRITIQUE

Nous devons nous interroger sur le statut de ces artistes laborantins : sont-ils des provocateurs cyniques qui se font l’écho d’un monde à la mesure de nos rêves les plus fous ou s’engagent-t-ils à prendre part à au débat éthique qui entend infléchir la démesure scientifique pour qu’elle consente à un usage raisonné et mesuré des manipulations sur le vivant ? L’art biotech’ ne nous laisse pas en reste de sensations quand la cellule, objet qui se prête à toutes les manipulations devient support et matériau et que les micro-sculptures produites en laboratoire incarnent de singulières entités biologiques. Évoquons à titre d’exemples la troisième oreille de chair que Stelarc greffe sur son bras, les poupées semi-vivantes d’Oron Catts et de Ionat Zurr qui font partie d’une large panoplie qui constitue la tératologie expérimentale que les artistes rendent visible et qui relève davantage du cauchemar que du rêve.Les créatures de laboratoire qui conjuguent l’avenir au présent nous incitent aujourd’hui à définir les raisons qui peuvent justifier au nom de l’art la mise en oeuvre cette audacieuse production d’objets utopiques ou eschatologiques qui sont une preuve irréfutable de notre mainmise sur les mécanismes du vivant. La présence incarnée de ces curiosités biologicofuturistes qui rejouent de vieux mythes (celui de l’immortalité, celui des origines) s’apparente à une manoeuvre destinée à effacer les craintes liées aux manipulations in vivo, à restaurer les croyances en une science émancipatrice et à renforcer son pouvoir de satisfaire les exigences de confort d’une communauté d’usagers sollicités par des technologies de plus en plus performantes. Éblouis par le langage des gènes qui leur permet de changer la programmation des formes vivantes, les artistes transcendent d’une certaine manière la réalité biologique en célébrant ses métamorphoses techniques.

Auteur : Catherine VOISON
www.droitdecites.org

CONCEPT

Alba est une lapine blanche qui, placée sous un éclairage ultra-violet, dégage une lueur verte. Née dans un laboratoire de l’Inra à Jouy-en-Josas (FR), elle a reçu un gène de méduse responsable de la synthèse d’une protéine fluorescente. De tels animaux transgéniques ne sont pas extraordinaires pour les chercheurs mais, cette fois, le "créateur" d'Alba, l’artiste américano-brésilien Eduardo Kac, s’est saisi de cette mutation dans une perspective inédite. Ce ready-made scientifique est, en effet, le point de départ d’une œuvre se déroulant dans le temps en intégrant tout ce qui a été organisé, dit et écrit depuis lors (expositions, propos de l'artiste, réactions des critiques et du public, etc.) à propos de cette lapine "fluo". Pionnier de cette nouvelle mouvance de l'art biotech ', Eduardo Kac en synthétise les lignes de forces et les interpellations : le vivant utilisé comme matériau de création, l’interaction avec le monde scientifique, l’ombre inévitable de l’industrie biotechnologique et les questions éthiques soulevées par la manipulation de la vie.

Le vivant comme matériau
Mais les bioartistes ne s'intéressent pas seulement à la génétique ou à l’ADN. "Les premiers sont apparus dans les années 1980 et cette démarche a pris une ampleur assez considérable en une dizaine d'années. Mais notre travail est très différencié. Aujourd’hui, on considère comme bioartistes tous ceux qui explorent le corps, cultivent des fleurs inédites, ou dont les œuvres utilisent la matière organique", explique Polona Tratnik, créatrice slovène.

Tous ces travaux ont en commun d'être réalisés à partir du vivant lui-même, et non via sa représentation, sa métaphore ou sa simulation numérique. Ailes destinées à des porcs, papillons uniques, iris hybrides, bactéries génétiquement modifiées et autres cultures de peau tatouées sont des "objets vivants", généralement peu spectaculaires. C'est autour d'eux que s’organisent des œuvres aux dimensions multiples, tenant de l’installation, du discours, de la performance et – souvent – de la provocation. Plutôt que de glorifier ou rejeter en bloc la manipulation du vivant par l’homme, les artistes, en mettant en scène ces productions parfois “monstrueuses“, nous interpellent sur la science et la technique et nous poussent à nous interroger sur l’ambiguïté de nos propres réactions.

Les outils des laboratoires

Tous les artistes présentés dans cet article – et d'autres également – ont participé à l'exposition L'Art Biotech', organisée par Jens Hauser, qui s'est déroulée au lieu unique, à Nantes (France), au printemps 2003. Un débat rassemblant des philosophes, des chercheurs, des artistes et le public a permis de lancer des questions sur "cet art qui dérange, qui met en scène nos peurs et nos contradictions." http://www.lelieuunique.com/SAISON/0203/2/ArtBiotech.html

Pour travailler de cette manière, ils doivent utiliser les outils et méthodes des biologistes, et donc les rencontrer. Ces collaborations prennent des formes diverses. Certains artistes se font “cobayes“, comme le duo français Art Orienté Objet (AOO) tandis que d’autres, à l’instar de la portugaise Marta de Menezes, utilisent différentes techniques en les pliant à leurs propres intentions. Quant au groupe Symbiotica, il a fondé à l’université d’Australie occidentale (Perth) un laboratoire soumis aux mêmes règles que les unités de recherche voisines – en particulier l’examen des projets par le comité d’éthique de l’institution. Symbiotica s’interroge sur la réparation du corps, la culture d’organes ou l’élevage industriel. Il crée des entités dites "semi-vivantes" en installant de véritables mini-laboratoires de culture cellulaire dans les lieux d’exposition. A l’opposé, Georges Gessert, magicien du végétal, travaille patiemment et en toute solitude : "Je ne collabore pratiquement jamais avec des chercheurs – ni avec qui que ce soit, d’ailleurs, sinon avec les plantes."

Les scientifiques, d’abord surpris de ces demandes, conservent souvent un souvenir positif de cette expérience. "La collaboration avec un artiste améliore la connaissance publique de la science. Cela dit, je ne vois pas comment je pourrais justifier l’utilisation de mon temps et des crédits qui me sont alloués à des fins purement artistiques…", fait remarquer Ana Pombo, du Centre de sciences cliniques de l’Imperial College (Londres), qui a travaillé avec Marta de Menezes.

Si l'art dévoile ainsi la science, ces créations soulèvent elles-mêmes bien des controverses. "On voit mal comment on laisserait des artistes procéder à des expérimentations au même moment interdites aux scientifiques ou, au moins, étroitement surveillées", estime le philosophe Yves Michaud (1). Cette supposition un peu outrée – les artistes sont soumis aux lois communes et respectent les mêmes précautions – renvoie à une question souvent posée : a-t-on le droit de manipuler le vivant pour des motifs non scientifiques ? S’y ajoutent des préoccupations socio-économiques : ces artistes ne seraient-ils pas des porte-paroles clandestins de l’industrie biotechnologique ? "Les scientifiques travaillent avec des êtres vivants, les enfants jouent avec, les hommes d’affaires les vendent et les achètent, nous les mangeons et les politiciens déterminent le destin de l’espèce entière. Pourquoi les artistes ne travailleraient-ils pas, eux aussi, avec le vivant ?", répond Georges Gessert. Mais Gessert (qui travaille uniquement sur le végétal) admet volontiers que certaines manipulations soulèvent des questions éthiques. Quant au lien supposé avec l’industrie, il estime que "s'il y a danger de récupération, c’est un risque à prendre. L’alternative serait un silence contraint qui ne bénéficierait qu’aux scientifiques les plus mercenaires et aux brasseurs d’affaires".

Ironiquement, la fameuse Alba d'Eduardo Kac a été décrite à la fois comme un “acte de résistance“ et comme une “collaboration“ avec l’industrie biotechnologique. La lapine fluorescente symboliserait-elle aussi l'ambiguïté?

(1) Arts et biotechnologies, in catalogue de l’exposition l’Art biotech', le lieu unique, Nantes (FR), en mars-avril 2003.